Je vous avais promis d’autres fiches cuisine. Ce sera pas pour tout de suite, je viens d’avoir une soirée boîtale surprise, offerte par Berniques S.A.
Comme à la précédente soirée boîtale berniquienne, c’était
SANS
ALCOOL
Ironie du sort, le restaurendez-vous est situé à Stroh, petit village d’Alémanie septentrionale, réputé pour son casse-crâne aux molécules éthyliques finement ciselées.
Comme vous le savez, le réseau de transport de la région est entièrement basé sur la notion de délabrement. Par ailleurs, comme je n’ai rien d’autre que mes rollers ébréchés pour me déplacer, j’avais envoyé un mail aux berniquiens bossant chez Merluchon Corp, pour demander qui pouvait me prendre dans sa voiture. « Prendre » dans le sens covoiturage, pas dans le sens… Oh non elle est nulle cette allusion salace. Trop facile.
Eh bien j’ai été étonné de leur absence totale de réponse. Ils ne m’ont même pas dit qu’ils pouvaient pas m’emmener. Ils m’ont purésimplement zappé de leur cerveau. Même Gonzesse n’a pas répondu, la scribe-potiche cheffe de bureau aux hanches généreuses, qui m’avait transporté la dernière fois.
Ils doivent être tous en vacances. Ou alors ils détestent tout cela. Tout. Dans sa globalité.
J’ai finalement mailé à Grand-Gris, le contre-maître des ouvriers-codeurs, pour lui annoncer avec horreur et dommagisme que je pouvais pas venir. Il a alors mailé à du monde, et là, surprise, des gens lui ont répondu. Un certain Castoropoil a annoncé sa disponibilité. Je dois reconnaître que j’avais pas pensé à le contacter ce mec-là.
Ensuite, ça devient le jour du jour de la soirée. Je m’extirpe de mon bureau, et vais retrouver ledit mec. Je croise Hamsterpiercing. Tiens c’est marrant, ça fait deux personnes de suite avec des noms de rongeurs poilus.
Il se moque de moi, car je porte mon duffel-coat alors que c’est l’été. Je suis obligé de me justifier en disant que ce matin il faisait froid. Je déteste avoir à me justifier. Je suis là à bredouiller des bouts de phrase face à une andouille qui se contente de rigoler de manière déplacée. Pendant des années, j’ai été confronté à ce genre de situation absurde.
Je décide donc de faire une fixette là-dessus et répète à Castoropoil la raison pour laquelle j’ai pris mon duffel-coat. J’ai bien envie de le re-répéter aux autres gens autour, pour être bien sûr qu’ils ont entendu et compris (car ils ne m’ont pas dit qu’ils avaient entendu et compris), mais c’est pas le moment, il faut que je monte dans une voiture.
En plus, l’autre naze de Hamsterpiercing, il peut bien se permettre de critiquer mes fringues! Lui, il est une über-fashion-victim recouverte de gel. Une fois, il avait une chemise grise à l’extérieur, et rose à l’intérieur!! Yuck!!! Dégueulasse!! J’en avais presque gerbé sur ses chaussures pointues-brillantes.
Dans la voiture, on discutaille. Castoropoil m’apprend qu’il a réussi à choper une crise d’appendicite lvl 75 avec spasmes, en plein devant sa doctoresse, ce qui lui a fait gagner trois semaines d’arrêt de travail. Franchement, bien joué. Il aurait pu avoir un mois complet, mais c’est un grand prince et il a refusé.
Nan en fait c’est juste qu’il préfère l’argent plutôt que le temps libre. Un choix que je respecte, mais qui n’est pas du tout le mien.
On défloque les voiles à Stroh. Un autre collègue arrive sur sa motocyclette.
« Motocyclette » est un vrai mot qui existe, mais que plus personne n’emploie (à part les manuels de Code Rousseau). Moi je suis Bernard Pivot et je sauve des mots.
On reste assez proche du thème des animaux puisque ce collègue s’appelle Sabretooth.
Sérieusement, il a vraiment des canines énormes. C’est drôle comme les gens semblent systématiquement vouloir faire honneur à leur prénom. Ah quel monde bizarre.
Pas si systématiquement, en fait. Là par exemple Grand-Gris il est en noir avec des mini-rayures blanches. Un peu comme un zèbre. Ah ben on retombe sur des animaux. La bouclé-bouclé!!!
Y’a déjà plein de monde dans la place, que je ne connais pas, évidemment. Je ne retrouve pas mes copains de la dernière fois (le roux et le calvitologue), mais je m’en cogne, car il y a un truc vraiment cool: dans un coin, à l’écart de tous les autres, se trouvent quatre mecs en T-shirt avec des conneries dessinées dessus:
- Un petit monstre de Space Invaders
- La fameuse mention « secteur NOIR »
- Des épaulettes de militaire orange fluo
- Leur surnom (à moins que ce soit leur vrai nom)
- Et bien sûr, une inévitable suite de 0 et de 1
Intermède apprenatoire (catégorie mondologie):
La suite de 0 et de 1 est aux informaticiens ce que la frise grecque est à la mythologie antique: un pur symbole culturel, taillé directement en brut depuis le Monde des Idées aristotélicien. Il y en a même de dessinées sur mon diplôme d’ingénieur. Pour de vrai.
Je mets un petit temps à me rendre compte que ces T-shirteux ne sont pas des étudiants en bizutage, ni des clowns, ni des illusions de mon cerveau, ni des petits gâteaux avec plein de pâte d’amande dessus. Non en fait ce sont des berniquiens. Et le déguisement, « c’est pour le trip ».
Il y a juste un problème: ils ne l’assument pas. Au départ, ils étaient certainement chaud-bouillant. Et là, devant tous les gens normaux (qui en réalité sont complètement fous mais ils ne le savent pas mais vous le saviez déjà), ils n’osent plus rien faire, se cachent, et discutent entre eux comme si de rien n’était.
Après, ils prennent leur courage à deux mains et vont se mélanger aux autres. Mais on sent bien qu’ils sont mal à l’aise. Ils se forcent à dire bonjour à tout le monde en faisant l’air « hahaha ». Moi quand je suis arrivé j’ai dit bonjour à personne et c’est ce que je préférais.
Là je suis en train de blogger ce résumé. Et je sais pas pourquoi, tout cela me rappelle un carnaval de l’école primaire, où j’étais déguisé en clown. Bien entendu, ce sont mes parents qui s’étaient occupé de tout. Mais j’avais des collants rouge.
Pourquoi est-ce qu’il fallait que j’ai des collants rouge pour être déguisé en clown? C’était vraiment bizarre. Est-ce que j’aurais pu m’en sortir autrement? Est-ce qu’il y aurait eu moyen d’avoir une enfance un peu plus optimisée, psychologiquement parlant? Je sais pas trop. Je dois continuer de raconter ce truc boîtal. C’est ça qui me plaît, à moi. Ouais, je vais faire ça.
Je profite de tout ça pour vous donner plus de détails sur mon métier. Comme vous le savez déjà, c’est la megacorporation Deus Unlimited qui fait vivre toute la région. Le travail aboutit forcément chez eux, quel que soit le nombre d’entreprises intermédiaires, de prestations, et de sous-traitants. Moi je fais des bouts de code informatique pour les tondeuses à gazon. Mais ils vendent pas que ça. En fait, ils contrôlent l’ensemble du marché mondial des objets électrico-électroniques. Vos lave-vaisselles, mixers, aspirateurs, machines à café, monte-escalier pour vieilles, fauteuils roulant à commandes buccales et même les radars automatiques qui sauvent votre vie: tout cela vient de chez eux. Le plus rigolo, c’est qu’ils ne savent plus rien faire par eux-mêmes. Tout est externalisé, depuis le design sexy avec des formes rondes, jusqu’au fouettage des petits lutins féériques travaillant sur les chaînes d’assemblage.
Voilà, c’était pour replacer mon récit dans son contexte.
J’ai également appris, y’a pas longtemps, que la vraie entreprise qui m’a embauché n’est pas Berniques S.A., mais Brouillis Consulting, une filiale. Je les soupçonne d’avoir fait ça pour découper le personnel en petits ensembles, afin d’éviter la création d’un comité d’entreprise. Je dois être mauvaise langue.
Un type que je connais pas (nous l’appellerons mister Mystère) se met à parler dans un micro, faisant crachoter une cacophonie grésillante à une enceinte sur pattes adjacente. C’est comme du stroboscope, mais sonore. On n’entend rien – on entend de la friture – on n’entend rien – on entend de la friture… On se croirait dans une boîte de nuit pour sardines.
Grand-Gris proteste qu’on y capte que dalle, mais il fait ça d’une main de (contre-)maître: il le dit suffisamment pas fort pour que l’orateur ne l’entende pas, mais suffisamment fort pour que le reste de l’assemblée l’entende et en déduise que lui c’est un battant, un winneuuuw, et qu’il n’hésite pas à faire des remarques quand il faut en faire, même si c’est douloureux. Après, si l’orateur est en train de ne pas régler le problème de l’enceinte, c’est parce qu’il est hermétique aux objections et non parce que Grand-Gris n’aurait rien osé dire comme un loseuw qu’il aurait pu être mais qu’il n’est pas.
D’autres gens s’enchaînent au micro. (Un jeu de mot pourrave facilement exploitable s’est caché dans cette phrase, à toi de le trouver, public). On continue d’entendre pas granchose. Chaque personne remercie à chaque fois son équipe pour tout le chouette de chouette boulot qu’elle fait et elle remercie aussi ses supérieurs et la direction, pour le chouette de chouette boulot qu’elle autorise à leur faire faire et pis le monde entier aussi et pis lisez mon putain de blog bordel, que j’fasse mousser mon ego!!!
Mister Mystère revient faire un speech entre chaque sous-bonhomme qui s’est enchaîné. Ça doit donc être quelqu’un d’important. Mais ça peut pas être le PDG (le chef des chefs des chefs), car il est trop jeune pour ça.
<spoiler : highlight the text ci-under to be spoiled>
Si. C’est le chef des chefs des chefs.
</spoiler>
Un mec dans le public est un vieux rocker avec poils de poitrine, chaîne, cheveux longs non peignés, casque de moto et bague. Plus tard, je serai comme lui, mais je garderai ma base geek.
Moment rigolo: une nana parle trop loin du micro. Alors un mec s’avance et lui rapproche de la bouche. Quelqu’un dit en douce « comme une glace! » Allez, hop, cochotation:
Pendant ce temps, Grand-Gris scrute tout le monde du haut de sa taille.
Captain Obvious: « les clients c’est quand-même les premiers qui nous subventionnent. » Oui. Ce sont même les seuls. Je doute que l’institut national de soutien aux handicapés mi-lourd débloque des fonds pour nous.
Maintenant c’est une anglaise qui parle. Une prestation et une gueule franchement de circonstance. Elle aurait pu faire Susan Boyle.
C’est au tour d’un des gars en T-shirt: « Heu… C’est pas une idée à moi », dit-il tout penaud. Tsssss… Va jusqu’au bout crétin. De toutes façons t’es déjà ridicule, alors profites-en pour dire que t’en es fier.
Ensuite arrive Fantôme! (qui se classera premier au créchitement de micro).
Haaaaaa! On ne l’attendait plus, ce bel homme grisonnant aux mimiques incertaines! Les sonorités dentales de son patronyme me choquent moins que la dernière fois. L’habitude sans doute. Mais il a toujours sa tête stéréotypique de chef de chefs de chefs. Et c’est marrant il a une bouche toute fine et un peu tordue. Par conséquent, j’imagine son adolescence: il devait probablement être forcé de faire des fellations à ses camarades de classe. Là, j’ai un peu honte de mon subconscient, alors pour me rattraper, je l’imagine en train de prendre sa femme en levrette pendant qu’elle lui cuisine des aiguillettes de poulet sans moufter. Après c’est un peu plus flou.
Et pis c’est la fin des speechs. On se rue vers le buffet. Je lance une offensive sur les piques-piques de tomates-mozzarella, puis campe en position près d’un cake aux olives, tout en m’approvisionnant régulièrement auprès de la réserve de « cocktail de jus de fruits ». (les guillemets sont à prononcer).
Grand-Gris s’approche des T-shirteux et les roule dans la boue avec une méchanceté gratuite non feinte: « C’est quoi ces T-shirts de merde? »
Sabretooth discute avec moi de boulot de glande et ça me fait plaisir, car c’est mon Saint-Graal. Ensuite on discute de gonzesses. Il me parle d’une de ses ex-collègues sexyssime qui venait au boulot en moto et talons aiguilles.
Outre le fait que je savais pas que l’association des deux était un critère de sexyssitude, ça doit quand même être super casse-gueule. Mais je suis pas là pour juger. Je dois m’adapter à la demande pour faire péter mes stats de blog. Donc acte:
Sûrement à cause que y’a pas d’alcool, je me retrouve à discuter de drogue du viol avec Grand-Gris. Il se souvient plus du nom du produit. Moi non plus, et c’est tant mieux, sinon mon connard de subconscient aurait pas pu s’empêcher de faire le fier et de le lui annoncer en un grand étalage de culture. Mais de la culture vraiment triste, cette fois-ci.
Finalement, je me casse avec mes amis Castoropoil et Sabretooth.
Je reviens dans La Ville. Je suis salement remonté par toute cette absence d’alcool que j’ai bu. Heureusement, ce soir y’a mon pote le SuperGeek musical qui se produit dans un rade. Ouais, j’vous impressionne à avoir deux trucs sociaux la même soirée, hein? Je vous rassure, c’est mega-rare. En temps normal, je suis chez moi, vautré comme un veau devant mon veaurdinateur.
Bref, j’arrive dans ledit rade, et je passe vraiment un super moment. Ils ont tous des têtes d’informaticiens, font de la musique hip-hop et accordéon, Supergeek tripe un max avec sa barzoingue électrique, la bière pas cher coule à gros bouillons dans mon gosier. Bref, une très chouette ambiance.
Allez, un peu de pub. Voilà leur site (http:// www. manoeuvre-lesite.com/). C’est chiant parce qu’on peut écouter que en streaming. Mais SuperGeek m’a dit qu’il allait refondre le site en mieux. De toutes façons, je suis un hacker, j’ai trouvé où trouver les mp3.
Edit 2013-05-25:
Or donc, suite à refonte de leur site, leurs mp3 de l’époque ont disparus. C’est pas grave, il y en a plein d’autres, qu’on peut maintenant télécharger via un lien direct et visible, sans avoir besoin de faire le über-hacker.
Voilà le package:
- Le rap est mort, vive le rap. (http:// www. manoeuvre-lesite.com/accueil.php)
- Démo 2008 redémotisée. (http:// www. manoeuvre-lesite.com/accueil2.php)
- Quelques musiques oubliées, que finalement ça sert d’être un über-hacker. (http:// www. manoeuvre-lesite.com/mp3/)
La superbe chanson « Hep Garçon » s’est volatilisée. Moi je m’en fous, j’en ai une sauvegarde sur mon disque. Je suis une sorte de webarchive du hip-hop accordéonien. Si je mentionne cette chanson, c’est parce qu’elle comporte ces paroles :
Je veux boire plus vite plus vite
Je veux boire plus vite plus vite
Je veux boire plus vite plus vite plus vite plus vite.
Par ailleurs, j’ose vous faire remarquer que mon article intitulé « ce que nous sommes » a été écrit suite à une écoute en boucle de la chanson « Je suis », qui est encore disponible.
À la fin du concert, la foule se mélange. Je discute de l’Esprit du Libre avec plein de gens. Je m’aperçois qu’ici, SuperGeek a pas le même nom que d’habitude. Mais c’est normal, ça fait ça à tout le monde en fait. Je dis aux gens qu’il faut aller voir mon blog, et j’arrive à pas faire le gros lourd avec ça. Y’a une nana qui s’appelle Sophie.
À la fin, je rentre tout bourré en rollers,
et j’me casse la gueule!!
(Hep Garçon)
Debriefing et despoiling:
Quelques jours plus tard, je me rends compte que mister Mystère est bien le chef des chefs des chefs de Berniques S.A. J’ai appris son nom un peu par hasard, et il se trouve que c’est le même que celui qu’est marqué sur mon contrat de travail, à côté du mien. Je savais juste pas que c’était ce monsieur là avec ce visage là.