Sur internet, personne ne sait que vous êtes Zlatan

Cet article constitue ma participation au « Day we fight back » (https:// thedaywefightback.org/). Il s’agit d’une journée d’action contre la surveillance généralisée d’internet. Je suis un rebelz.

Y’a des fois, je râle contre les publicités. Mais là, je vais en encenser une : celle avec Zlatan Ibrahimovic (http:// www. lequipe.fr/Jeux-video/Actualites/fifa-14-la-publicite-xbox-one-avec-zlatan-ibrahimovic/421780).

Résumé : Zlatan et un gamin générique jouent à un jeu de foot sur la Xbox, chacun à son domicile. Le hasard les fait s’affronter en ligne. Le gamin s’interroge sur le pseudo de son adversaire. Zlatan répond d’une voix Zlatanesque que « il n’y a qu’un Zlatan ! « . Le gamin générique gagne le match. Zlatan, pour ne pas perdre la face, lui annonce alors qu’il n’est pas Zlatan.

Zlatan avec sa tête zlatanienne.

Dans cette publicité, Zlatan nous montre donc l’importance d’une notion qui lui tient à cœur : l’anonymat sur internet. Sans cet anonymat, il ne pourrait pas se sentir libre de jouer à la Xbox comme il en aurait envie. Zlatan, aussi grand et puissant soit-il, nous avoue ici qu’il a de temps en temps besoin de se sentir quelqu’un d’autre, pour se construire différemment, pour échanger avec les autres différemment, ou tout simplement pour se reposer un peu. Cette liberté lui permet d’être encore plus « ZLATAN » durant les moments où il doit l’être.

Sans entrer dans la schizophrénie, la personnalité d’un être humain possède diverses facettes. Pour Zlatan, il est important que ces facettes ne puissent pas toutes être reliées entres elles. Cela permet de se développer dans différentes voies, de tester des comportements, d’avoir droit à l’erreur, et finalement, de devenir quelqu’un d’intéressant, avec toujours quelque chose à découvrir à l’intérieur. Pour contribuer à faire connaître cette importantitude, ZLATAN, merci.

Bon accessoirement, il fait aussi un peu de pub pour la Xbox et le foot, mais on ne lui en tiendra pas rigueur. Ne sont-ce pas là quelques activités comptant parmi ses nombreuses passions ? Accordons-lui ce petit bonus qu’il offre à sa célébrité et son compte en banque.

Triple Face Mask. beppyiram.blogspot.com Double Faced Mask

Donc Zlatan lutte pour le droit à l’anonymat. Mais z’au fait …

À quoi ça sert l’anonymat ?

Ça facilite la liberté d’expression, et ça permet de dire des choses sans les assumer complètement. Ce n’est pas nouveau comme astuce. L’anonymat existe depuis que la création artistique existe. Si vous avez envie de déclarer quelque chose d’un peu délicat, et que vous avez peur des réactions que ça pourrait provoquer, inventez une histoire comportant un personnage qui fera la déclaration à votre place. Si ça merde, vous pourrez toujours dire que c’est pas ce que vous pensez réellement.

Présenté de cette manière, l’anonymat semble un peu pourri, il autorise les gens à ne plus avoir le courage de leurs opinions. Seulement voilà, j’ai un scoop :

La liberté d’expression n’est pas le privilège des gens courageux.

COURAGE Un pingouin avec des cymbales.

Parce que des fois, pour acquérir le courage de dire une chose difficile, il faut commencer par la dire sans courage, en enrobant le propos, en y rajoutant un gros tas d’humour. « Ha ha ha, non c’est pas vrai. Je rigole. Ha ha ha. »

Parce que des fois, on dit un truc et c’est pas ça du tout qu’on voulait dire. L’anonymat peut permettre de revenir en arrière. « Quoi ? Mais non ! Je n’ai jamais dit ça. Voyons, où vas-tu chercher ces idées. ha ha ha ha ha. hem. *tousse *tousse. Bon, où est passé l’alcool ? »

Parce que le fait d’être courageux ou pas n’est pas spécialement lié au fait d’avoir ou pas des choses intéressantes à dire. De plus, le fait d’avoir ou pas des choses intéressantes à dire ne devrait pas être lié au fait de pouvoir jouir ou pas de la liberté d’expression. C’est chiant comme tout, parce que du coup, des tas de connards en profitent pour raconter n’importe quoi, mais faut faire avec.

Petit exemple : ce manque de courage est parfois reproché au groupe des Anonymous (se référer aux déclarations de Christophe Barbier). Et ça se défend. Lorsqu’on dit quelque chose sans courage, ça a moins d’impact que si on le disait avec. Sauf que les Anonymous s’en tamponnent, ils n’ont pas l’intention de tirer leur force de leur courage, mais de leur nombre. C’est une stratégie qui peut fonctionner, car en acceptant les non-courageux, les Anonymous augmentent énormément la quantité potentielle de gens qui peuvent les rejoindre.

Christophe Blindé Barbier contre les Anonymous

Si l’anonymat diminue la force du propos, c’est pas si génial.

Oui, mais c’est pas si grave. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’anonymat vous offre une possibilité de plus de vous exprimer. Soit vous révélez votre identité, et vous augmentez vos chances d’être écouté, soit vous restez anonyme, et vous courez le risque que tout le monde n’ait rien à foutre de votre avis. Vous avez le choix, et c’est important que ce choix soit toujours possible.

D’ailleurs, si on regarde l’histoire globale du monde mondial, on se rend compte que les propos ont tendance à se diluer.

Ce que j’appelle « dilution des propos », c’est le fait que tout ce qu’on dit ait de moins en moins d’impact.

A B C Des lettres qui se liquéfient.

Aaahhh ! Je fonds ! Je fonds !

Ça a l’air d’être une régression, car ça signifie que les mots ont de moins en moins d’importance. Mais en fait c’est plutôt bien. Ça permet un foisonnement de propos, plus ou moins intéressants, duquel peut sortir des idées plus diversifiées.

Au début, copier des livres c’était chiant. Alors on préférait ne copier que ce qui semblait être le plus important : la Bible. Et on faisait ça bien, avec des belles lettres chiadées. Chaque phrase, chaque mot de la Bible était très important, et a été étudié sous tous ses aspects.

Ensuite, on a inventé l’imprimerie. Les gens ont eu peur, et considéraient que les livres étaient dangereux, qu’ils implanteraient de mauvaises idées dans le cerveau des enfants et les détourneraient des choses importantes (comme travailler aux champs par exemple). Pour parachever le tout, des tas de livres stupides et inintéressants étaient imprimés. La Bible a perdu de son impact, les mots sont devenus moins importants et la notion de « blasphème » est devenu obsolète.

Kaori. Japonaise masquée avec des nichons.

Une bonne utilisation de l’anonymat.

Malgré ce foisonnement de stupidité et cette déliquescence du sens, des œuvres de qualité ont réussi à apparaître et à trouver leur public. Transposé à notre époque, ça donnerait : « la prolifération des romans de Marc Lévy n’a pas empêché Chuck Pahlaniuk d’écrire ‘Fight Club' ». Comment ça je suis partial ?

Ensuite, internet est arrivé, et a provoqué plus ou moins les mêmes réactions, mais au niveau supérieur. Plein de gens écrivent pleins de trucs stupides et inintéressants, on a peur que le cerveau des enfants soit corrompus, et des choses traumatisantes et taboues telles que la pédophilie et le nazisme sont librement évoquées. (J’ai pas dit « intelligemment évoqué », juste « librement évoqué »).

Au début de l’internet, les mots avaient encore une certaine importance. Puis des gens se sont amusés à troller. Les victimes de ces trolls se sont tout d’abord insurgées, et répondaient de manière détaillée, expliquant pourquoi c’était pas bien de dire ces trolleries. Ensuite, on s’y est habitué. Lorsque quelqu’un trollait, plus personne ne lui répondait. Le trollage est maintenant en déperdition, mais il a eu le temps de participer à la dilution des propos.

Alors oui, internet est plein de merde. Mais il vaut mieux plein de merde avec quelques trucs cools cachés au milieu, plutôt que pas de merde, avec vraiment très peu de trucs cools mis en évidence. C’est plus compliqué, vous devez filtrer la merde, et personne ne peut le faire à votre place, car ce qui est intéressant pour vous est peut-être de la merde pour les autres. Eh oui, ça me fait mal au cul de le dire, mais vous avez le droit d’aimer Marc Lévy.

Un tuyau sale et un tuyau propre.

Pensez à nettoyer vos filtres.

Mais si tout le monde peut dire de la pure merde, ça va être la merde !

C’est un problème inhérent à la liberté d’expression. On a trop tendance à croire que la liberté d’expression est un truc « qu’il faut préserver à tout prix ». Ce n’est pas tout à fait cela. En fait c’est un truc « pour le meilleur et pour le pire », qu’il faut quand même préserver à tout prix.

Parce que si tout le monde a le droit de dire de la merde, tout le monde a également le droit de contredire ceux qui disent de la merde, de dénoncer la merde, de décrire pourquoi c’est de la merde, de proposer mieux ou tout simplement de ne pas y prêter attention.

(Ici, il faudrait une photo d’une merde géante, mais j’en ai déjà mise une dans un précédent article).

Des tas d’autres choses sont « pour le meilleur et pour le pire » : la science, les tronçonneuses, les vêtements moulants, les recettes de cuisine, la vie, le sexe, … Le droit à l’anonymat et la liberté d’expression sont à ranger dans la même besace.

Jessica Nigri Juliet Starling du jeu vidéo Lollipop Chainsaw

Tronçonneuse, vêtements moulants … le meilleur du meilleur ?

On pourrait faire une sorte de parallèle capillotracté avec l’opposition « logiciels propriétaires/libres ». Le propriétaire a des avantages :

  • il n’y en a souvent qu’un seul dans sa catégorie, pas besoin de se prendre la tête à en évaluer plusieurs
  • ça marche pas trop mal
  • c’est soutenu par un gros truc qui offre une sorte de garantie de pérennité.

Le libre a d’autres avantages :

  • on sait que n’importe qui peut inspecter comment c’est fait dedans
  • en général c’est gratuit
  • les mises à jour sont plus fréquentes.

En conterpartie, le libre, c’est le bordel, il y a trouzemille produits différents, qui font tous plus ou moins la même chose mais pas tout à fait. C’est compliqué de trouver celui qui correspond le mieux à ce qu’on veut faire.

On pourrait également faire une autre parallèle capillotracté avec l’opposition « licences propriétaires/libres ». Les œuvres sous copyright classique ont l’avantage d’être super simple. Vous n’avez rien le droit de faire avec, et il n’y a pas de texte de trouzemille mots à se farcir.

Les œuvres sous licences libres permettent de faire plus de choses, mais jamais exactement les mêmes. Il faut se renseigner précisément sur ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. On peut très difficilement passer d’une licence à une autre, bien qu’il y en ait des plus ou moins équivalentes. Et lorsque vous créez une œuvre, bonne chance pour choisir celle qui correspond le mieux à ce que vous souhaitez ! Mais au moins, il y a le choix.

Le dragon-cornucopia.

Pokécorne d’abondance !

C’est peut-être ça, ce fameux « passage de l’économie de rareté à l’économie d’abondance », dont on entend parler ici et là. L’abondance, c’est très bien, mais ça soulève un nouveau problème : le choix. Des millions de biens (physiques et virtuels) vous sont proposés, la plupart ne vous conviennent pas tout à fait, et c’est à vous de trouver ceux qui vous conviennent parfaitement. C’est une difficulté qu’on n’avait jamais vraiment rencontré jusque là, et il va falloir se donner les moyens de la résoudre, chacun à sa manière.

Mais cessons de capillotracter, et revenons à la notion de liberté d’expression.

Il faut bien une limite, quand même !

La loi et/ou les conventions sociales doivent-elles définir des choses qu’on ne peut décemment pas dire ? Des concepts que l’on ne peut pas vanter ? Si oui, lesquels ?

La nénétte du groupe 2unlimited avec ses nichons.

No limit for boobs.

C’est la question qui tue que des tas de gens (philosophes, juristes, politiques, blogueurs du dimanche, Michel Drucker) se posent. Je n’ai pas la réponse. La loi française fixe une limite, qui ne me semble pas trop mal, mais est-ce la meilleure ? Voyons voir…

Légalement, je n’ai pas le droit de dire, de manière sérieuse, que les noirs et les roumains sont des connards. Mais j’ai le droit de dire que les sportifs sont des gros beaufs, que les vieux sont grincheux et emmerdants, et que les garagistes sont des voleurs. Pourquoi ?

L’explication semble simple. Être noir ou roumain, c’est quelque chose qui nous arrive à la naissance, on ne le choisit pas. On peut changer sa nationalité après coup, et même sa couleur de peau (coucou Michael Jackson !), mais ça reste fortement ancré dans la personnalité. Donc : les trucs non choisis, on n’a pas le droit de s’en moquer, les trucs choisis (comme le métier ou les passions), on a le droit.

Sauf que ça colle pas. Certaines personnes choisissent elles-mêmes leur religion, en leur âme et conscience, après plusieurs années d’interrogations personnelles. Pourtant je n’ai pas le droit légal de dire que les bouddhistes sont des barbares ignorants. Les femmes ne choisissent pas la taille de leurs nichons, pourtant, j’ai le droit légal de dire que toutes celles qui ont des petits seins sont frigides (ce sera un propos très mal accueilli par une majorité de gens, mais j’ai le droit légal de le dire). On choisit son orientation sexuelle, pourtant je n’ai pas le droit légal de dire que les homosexuels sont des sous-hommes.

Minorités provenant du corporate-bullshit-land.

Minorités provenant du corporate-bullshit-land.

Ce n’est pas non plus par rapport à la quantité de gens offensés. Les femmes sont nombreuses, je n’ai pas le droit d’avoir des propos sexistes. Les automobilistes sont nombreux, j’ai le droit de dire que ce sont des égoïstes paresseux et pollueurs. Les handicapés moteurs sont peu nombreux, je n’ai pas le droit de dire qu’il faut les parquer dans une réserve car ils nous gênent avec leurs putains de fauteuils. Les végétariens sont peu nombreux, j’ai le droit de dire que ce sont des chiffes molles de hippies moralisateurs.

Ce n’est pas non plus par rapport à ce qui définit notre personnalité. Des tas de gens se définissent plus par rapport à leur métier que par rapport à leur nationalité, pourtant on peut dire du mal des informaticiens, mais pas des japonais. Les handicapés essaient de se définir autrement que par leur handicap, pourtant on ne peut pas se moquer de leur handicap.

Il semble donc impossible de définir, dans l’absolu, des critères de non-moquabilité. Pourtant, d’après ce que j’ai compris, la loi est censée s’inscrire le plus possible dans l’absolu, et la morale encore plus. Je vous laisse vous démerder avec tout ce bordel.

La martyre de l’anonymat

Je ne vais pas m’étendre sur cette partie, parce que l’article commence à être un peu long et que je voudrais me faire du thé. J’aimerais juste vous parler un peu de Jessi Slaughter. Je vous laisse prendre connaissance de ce qui lui est arrivé ici et ici (http:// www. truecrimereport.com/2010/07/jessica_leonhardt_aka_jessi_sl.php, http:// www. dailydot.com/society/jessi-slaughter-leonhardt-damien-cyberbully-return/).

Monsieur de la cyber-police. e-swat

La cyber-police.

Il est clair que l’anonymat a joué un rôle important, et très négatif dans cette triste histoire. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut le combattre. Comme dit plus haut, l’anonymat fait partie de ces concepts « pour le meilleur et pour le pire ».

Ce qu’il faut combattre, c’est le harcèlement. Et ça existait déjà dans les écoles primaires, les lycées et les collèges, avant internet.

Dernière remarque, proposée par mon ami imaginaire de la facilité : si Jessi avait su utiliser efficacement le concept d’anonymat, elle n’aurait pas eu tous ses problèmes. En masquant son visage sur les vidéos, en ne donnant pas son vrai nom, elle aurait certainement eu une bordée de commentaires insultants sur ses comptes youtube / facebook / twitter / etc, mais ce défèrlement de haine n’aurait pas débordé dans le monde réel.

D’après vous, pourquoi n’y a-t-il aucune photo de moi dans ce blog à la noix ? Je ne me fais pas d’illusions, il est certainement possible de retrouver mon vrai nom, où j’habite, etc. Mais ce n’est pas à la portée du premier débile venu, et c’est ce qui compte. Car perpétrer du harcèlement nécessite une masse importante de débiles.

Bon, il était un peu trop sérieux cet article. Promis, la prochaine fois, je vous raconte n’importe quoi !