Suite à un tas d’événements qui m’échappent, la boîte ConcreteWorld-🌍 a dû recourir à une opération de lourdage massif du personnel.
Heureusement pour moi, les personnes affectées au super-projet secret « POILS_PUBIENS » n’ont pas été impactées, parce qu’au niveau comptable, gestion boîtale et autres subtilités administrativo-légales, c’est pas foutu pareil. Mais ça fait une ambiance un peu bizarre. Je crois que certaines personnes aimeraient avoir une preuve tangible de l’utilité de notre beau projet. Ça viendra.
En attendant, lecteurtrice, je t’en dois quand même une description minimale.
Description du projet POILS_PUBIENS
Comme tu le sais, l’entreprise ConcreteWorld-🌍 a la vocation (pour ne pas dire « l’abnégation ») de lutter contre les distortions spatio-temporelles de l’univers, sur les plans d’existence confiés par nos clients, afin d’empêcher un débordement de chaos. Comme toute entreprise ayant pour métier le maintien de la réalité, nous adoptons plusieurs approches :
- blocage direct des déformations spatio-temporelles,
- déplacement temporel afin de prévoir et bloquer les déformations spatio-temporelles,
- déformation spatio-temporelle locale contrôlée afin de rendre impossible une déformation spatio-temporelle chaoticogène.
Le projet POILS_PUBIENS adopte une approche totalement innovantatrice. Nous réalisons une déformation spatio-temporelle globale, complémentaire et orthogonale à la déformation chaoticogène, afin, non pas de bloquer frontalement celle-ci, mais de la rendre normale. La déformation chaoticogène existe toujours, mais ce n’est plus une déformation.
C’est un peu compliqué à comprendre, alors je vais employer une analogie. Imaginons par exemple que vous ayez un pli sur votre drap. Vous pourriez tirer dessus, puis badigeonner le drap d’amidon pour le rendre entièrement rigide. Nous, nous faisons le choix de découper et reconstruire une partie du lit, ainsi que la maison autour, et la Terre, et l’univers, de façon à ce que le pli du drap ne se remarque plus. C’est aussi simple que ça.
Pour en revenir au plan de lourdage massif : celui-ci a déclenché un combo de deux pots de départ, que je vais vous narrer.
Présentation des lourdé·e·s
Colléguette Rosemonde
Il s’agit de l’ex-cheffe du département boîtal « Orgies Internes ». Elle s’appelle ainsi à cause d’un gros délire sorti de nul part durant une pause de midi.
Collègue TuLaBoucles, qui aime bien taquiner les gens, a dit que c’était une grande poétesse et qu’elle écrivait des textes d’une incommensurable époustouflance. C’est resté, elle a alors pris le nom de Rosemonde Gérard, une autre poétesse, qui ne lui arrive cependant pas à la cheville.
C’est une nana bien, plusieurs personnes dans la boîte s’accordaient à dire que c’était « la grande sœur de tout le monde ».
J’apprendrais plus tard qu’elle s’est fait lourder d’une manière quelque peu cavalière. je n’en dis pas plus pour l’instant, pour ne pas spoiler.
Rien à voir, mais son fils était présent à certains des cours de python que j’ai prodigué.
Chef Peyotl
L’ex-grand-chef du département boîtal « Corrélations Inter-spatio-temporelles des Réalités Locales ».
Pour rappel : il se nomme Chef Peyotl car il a parcouru tous les pays du monde à la recherche de l’alcool qui lui conviendrait le mieux, et qui s’est révélé être le peyotl.
Techniquement, il n’a pas été lourdé. Il est parti de lui-même, suite à « une accumulation de divergences d’opinions avec MégaChef En-Même-Temps ». J’en sais pas plus.
Les autres
Ces personnes n’ont pas fait de pot de départ, ce qui peut se comprendre, car elles ont été prises au dépourvu. Certaines sont particulièrement dégoûtées.
Je vais me contenter de lister leur noms pour que leur mémoire soit à jamais gravée dans votre mémoire à vous.
- Colléguette Carnea
- Colléguette Louloute
- DRHe Bourgeoise-Rappeuse
- Collègue Rocker
- Collègue Megabite
- Collègue Kirikou
- Collègue Bo (physiquement, il ressemble à l’autre dans la série SuperStore)
- Collègue FautLireLaDocQuExistePas
- Je crois qu’il y a une dernière personne mais désolé je l’ai oublié. (Pour le gravage dans la mémoire, c’est raté).
Comme d’habitude, à chaque fois qu’il y a des départs, volontaires ou non, un tabou temporaire le recouvre. Faut pas trop l’ébruiter, chacun l’apprend individuellement de manière détourné, tout en ayant la consigne de ne pas le transmettre.
Un départ dans une entreprise, c’est un peu comme une personne à l’article de la mort. On n’en parle pas ouvertement, des murmures se propagent progressivement sur l’état (sanitaire ou professionnel) de la personne concernée, mais tout le monde finit par le savoir. Je ne détaille pas plus cette situation, vous l’avez certainement déjà vécue, soit vous-même, soit par des collègues, soit par des proches.
Partie à peu près sobre de la soirée
Comme je suis très alternatif et que j’aime moi aussi à distordre gentiment la réalité, je vais vous narrer les deux pots de départ sous forme multiplexée, en un seul et même article de blog.
Il n’y a pas d’heure fixe, je débarque un peu à l’arrache. Multiplexement parlant, ça se passe dans un bar-tapas entrelacé avec un barbecue. À côté se trouvent des tireuses groupes-électrogènisées que personne n’arrive à démarrer. Les serveurs promettent de venir me voir pour prendre la commande, mais ils n’en font rien, alors je me bouge au comptoir.
Il y a plein de collègue·ttes que je n’ai pas croisé·e·s physiquement depuis longtemps. Leurs coiffures sont parfois un peu spéciales.
Colléguette Platona vient discuter avec moi. Même si nos sujets de conversation sont banals (le boulot, les gens, les enfants), ce moment est teinté d’une aura spirituelle mystique. Je réalise que lorsque je vous ai présenté cette dame, j’ai parlé un petit peu de son physique, ce qui était inapproprié, veuillez m’en excuser. Ce qui compte avec Colléguette Platona, c’est uniquement sa personnalité iridescente et sa façon toute particulière qu’elle a de la chatoyer pour illuminer mon ego. Je suis revegoré.
J’atteins Chef Peyotl, qui est derrière un bosquet de bouteilles, gobelets et autres cacaouètes. Je lui transmets les amitiés de Chef Lucene-Lapin qui n’a pas pu venir. La dernière fois que je vous ai parlé de Lucene-Lapin, il avait pour titre de noblesse « Collègue ». Ça a changé depuis le projet POILS_PUBIENS. Faudra que je décrive de ce gars là en détail, un jour.
Méga-Chef En-Même-Temps est là aussi. On discute de trucs couillus et virils de chefs d’entreprise : l’EPR de Flamanville, la sous-traitance off-shore, la culture japonaise, les piliers de ponts, … Je sais absolument pas quoi dire, heureusement, un autre collègue est là pour assurer la conversation. Je m’éclipse non-discrètement en prétextant que je dois remplir mon verre à la tireuse (que des gens ont réussi à faire fonctionner).
Pour éviter de me refaire piéger dans la même conversation, je squatte un groupe au hasard. J’y trouve Colléguette Pauline. On discute de choses diverses et de la situation du monde. Sa fille était présente à certains des cours de python que j’ai prodigué.
Petite partie de Mölkki durant laquelle je ratatine divers collègues, ainsi que Chef NightWish et ses enfants. On m’en repropose une autre, tellement elle a duré peu de temps, tellement je les ai tous ratatinés. Mais je décline l’invitation car je préfère boire et discuter avec des gens. Rien à voir, mais l’un des fils de Chef NightWish était présent à certains des cours de python que j’ai prodigué.
Petit échange avec Collègue Pagne, qui joue à d’anciens jeux d’aventure sur une ScummVM installée sur son smartphone. Je lui parle de Loom, un jeu Lucas Arts très beau et très onirique. Il faut que je lui envoie les fichiers. Vous pouvez télécharger la version anglaise EGA ici.
Je cause avec Mascotte À-Fleurs, de python et autres geekeries.
Au loin, Colléguette Platona discute avec d’autres gens. Des particules de sa personnalité volettent dans le Monde des Idées jusqu’à ma propre personnalité personnelle, et je m’en enivre.
Nous nous installons à une table pour manger. Dans ces situations, le placement est toujours crucial. Mais là ça va, car nous nous mélangerons, lèveront et assoiront aléatoirement. C’est cool.
Colléguette Babiole-Poétique me parle de la dernière fois où nous étions à cette même table, et où j’avais ébloui l’assemblée avec mes connaissances sur les moules à caca. Un moment anthologique. Si les moules à caca vous intéressent, en voici un article détaillé.
Les mélanges aléatoires de place me propulsent jusqu’à Colléguette Rosemonde, avec qui je peux enfin discuter un peu. Elle me révèle qu’elle va quitter la ville pour tenter l’aventure ailleurs. Dans l’ouest. Le grand ouest où tout est possible. Elle va me manquer. On se faisait de temps en temps le trajet du boulot en vélo, elle m’a montré tous les petits chemins secrets pour éviter la rocade de la mort que si t’y vas en vélo tu te fais tailler un shortasse. C’était sympa de faire cette route avec elle. Il faisait beau. Les dinosaures-marionnettes illusionnistes bleuissaient le ciel d’une jugulence idiosyncrasique.
Je cause avec Collègue Huître d’un ancien collègue, qui’il considérait comme un trou du cul. Ce n’est pas mon avis. Pour moi, cet ancien collègue était trop respectueux des humains, donc ne sortait jamais de blague sur des minorités diverses, donc n’était pas hyper drôle, mais ça n’en faisait pas un trou du cul.
Le robot DJ nous passe du Parov Stelar. J’aime bien l’electro swing. C’est de la bonne musique pour se concentrer pendant qu’on code.
Je continue de papillonner entre les groupes et les personnes, à deviser sur des sujets divers : le python, notre super-projet, la bière… Je réalise alors avec frayeur que je suis conversationolique.
Quelques minutes à peine après avoir entamé une discussion, je ne la juge pas suffisamment intéressante, et me dis que je ferais mieux de m’en éclipser pour espérer trouver une autre personne plus cultivée ou plus apte à faire gonfler mon ego. Je suis comme un alcoolique qui boit un verre et qui en veut un autre immédiatement après, comme un fumeur chronique voulant se griller une clope alors même qu’il est en train d’en fumer une. Je dois faire attention à ça.
Ensuite, je réalise autre chose : Méga-Chef En-Même-Temps est parti. On peut complètement arrêter d’avoir l’air digne, ce qui nous amène à la partie suivante de la soirée.
Partie n’importe quoi
Semi-Chef Pez vient participer à une conversation. Chef Peyotl le réprimande : « parle pas si fort, tu parles trop fort ». C’est rigolo parce que Chef Peyotl était le chef de Semi-Chef Pez, et il le taquinait régulièrement.
Je dis à Collègue Fêtard que c’est dommage car cette fois on ne pourra pas finir au Baron. Il m’annonce qu’il y a un espoir que cet établissement réouvre, on ne sait pas trop quand. Je me garde cette info.
Sans savoir pourquoi, je pense à un pote, dans un bar, qui a dit en revenant des toilettes : « Ils sont pas pratique leurs urinoirs. Ils sont super haut et la chasse d’eau nettoie pas bien les bords ». Un autre pote lui avait alors répondu : « Y’avait pas d’urinoir. Que des lavabos ».
Il ne m’a pas semblé que Colléguette Rosemonde ait eu un cadeau de départ, possiblement parce que son départ n’était pas souhaité et que son pot a été décidé à l’arrache.
En revanche, Chef Peyotl a eu plein de belles choses : Du peyotl bien entendu, un tas d’autres alcools, ainsi qu’un stage de ball-trap bazooka, son sport favori. Ça fait plaisir de voir quelqu’un avoir le minimum de personnalité nécessaire pour être capable d’être fan d’autre chose que l’aquafootball chilien, notre enculerie de sport local à la con qui fait la fierté de la ville.
Il nous gratifie d’un petit discours conventionnel : « j’ai adoré bosser avec vous, je vous aime, bonne continuation à vous, les oiseaux, les petites fleurs, etc. »
Et c’est beau. Toutes ces soirées, toutes ces molécules d’alcool, toutes ces conversations aléatoires, toutes ces années de travail, toutes ces lignes de code torturées n’ont existées que pour ce petit moment précis, cette toute petite seconde où la voix de Chef Peyotl a chevroté, et où ses yeux se sont un tout petit peu humidifiés.
Mais ensuite, Semi-Chef Pez, comme à son habitude, fait son gros relou et sort un commentaire inintéressant pendant le discours. Il le fait quasiment à chaque fois.
Le re-hasard des placements me remet à côté de Colléguette Rosemonde. J’apprends que pour l’opération de lourdage massif, les chefs ont dû noter leurs ouailles, mais lesdites ouailles avaient le droit de demander leur note, ce que Rosemonde a fait. Sa cheffe, Semi-cheffe PositiveAttitude, lui a filé une note toute pourrite. C’est quelque peu cavalier.
Je suis un peu étonné de ça et préfère adopter l’attitude de la fuite : à savoir auto-persuader mon esprit que c’est sûrement pas comme ça que ça s’est passé, mais que j’ai mal compris parce que je suis bourré.
Il y a des gens qui font un feu juste à côté des groupes électrogènes et des noisetiers. Embarrassant.
Mon cerveau mate la magnifique personnalité de Colléguette Platona, tel le pervers platonique qu’il est.
Semi-Chef Pez, obéissant à l’entropie qui règne dans ses neurones, décide de s’improviser DJ et demande au maître du smartphone BlueToothé à l’enceinte de passer du død / violinbwoy. Il nous annonce, de sa voix de stentort (comme un stentor, mais qui aurait eu tort de le devenir), que c’est en souvenir du road-trip en ma compagnie, lorsque nous sommes allés aux Temps Forts de Pochtronarr. Un événement narré ici et ici. Je ne me souviens pas du tout qu’il avait passé cette musique, mais je me souviens que sur le chemin du retour on avait croisé une prostituée aux magnifiques formes généreuses.
Faisant fi de mon conversationolisme, je vais voir chef Peyotl et lui dit que j’ai beaucoup apprécié travailler avec lui, et que quand même ça fait quelque chose de le voir partir, parce que c’est lui qui m’avait embauché (même si je n’avais pas été le seul, évidemment). Il me répond que lui aussi il avait trouvé ça cool que je sois dans son équipe et qu’il aurait aimé que j’y reste un peu plus longtemps. Il ajoute conventionnellement qu’il est quand même content pour moi, parce qu’il sait que je m’éclate à fond sur le projet POILS_PUBIENS. Je lui réréponds conventionnellement que oui c’est tout à fait ça.
Je suis assez bourré pour ajouter, de manière taquine, que si j’avais aimé travailler avec lui, c’est aussi parce que je pouvais faire le roi du pétrole. Y’avait aucun autre développeur dans son équipe et c’est moi qui m’occupais de toute cette partie. Plein de gens me considéraient comme un super-héros.
Je m’allonge dans l’herbe et réalise que je suis super bien et super heureux. Souvent, on ne se rend pas immédiatement compte de son bonheur. C’est seulement après, lorsqu’on devient malheureux, qu’on réalise comme on était heureux avant. Alors je profite de ce moment de lucidité pour en profiter pleinement. Je regarde lentement tout autour de moi afin de bien m’imprégner des molécules volatiles de félicité et de béatitude. Je faisais pareil durant mes joyeuses études. Je m’adossais au bar de la Maison des Élèves, à l’UTBM, et j’opérais un lent regard circulaire, pour bien prendre conscience de tout ce qui était autour de moi et qui était bien.
Et voilà que ma stupide nostalgie revient. Alors que je suis dans un moment de bonheur et que je m’en rends pleinement compte, je suis nostalgique des fois précédentes où je m’étais pleinement rendu compte que j’étais dans un moment de bonheur.
Le vertige me prend et je réalise qu’il y a à peine quelques années, à ConcreteWorld-🌍, on faisait des soirées nimp’ dans les bars, et des soirées jeux de société avec un collègue qui est parti depuis, sans oublier les semencinaires/ovuliaires annuels. Tout ça s’est étiolé dans le temps et risque de ne plus trop revenir, maintenant que la cheffe du département « Orgies Internes » a été lourdée. Il y a aussi cette histoire de virus.
Heureusement, je peux toujours profiter des gaudrioleries que nous faisons entre membres du projet POILS_PUBIENS. Pour l’instant, je n’arrive pas à en retirer des choses à raconter. Il faut le temps que ça incube dans mon cerveau.
La carte de Chef Peyotl où on écrit un petit mot d’adieu circule plus ou moins discrètement. C’est lui qui avait pris la décision initiale d’acheter le super-outil de gestion de trucs « Pochtronarr » et qui m’avait laissé me démerdouiller avec. Je ne peux pas le laisser partir sans lui laisser une pique à ce sujet. J’écris :
Putain Ondoyante Carabistouille Hail ! Terrible Rouflaquette Onirique Nocturne Amazing Roooarrrr ! Réussite.
Et j’écris « Bisous » à la fin.
Les dernières personnes qui restent rangent les trucs du barbecue et s’au-revoirisent progressivement. On paye le bar-tapas.
On finit à trois : Collègue Fêtard, Collègue HumourBlanc et moi. On erre dans les rues à la recherche d’un dernier endroit où s’en coller une. Mais, comme déjà expliqué, il n’y a plus de Baron. Alors on squatte un bar random.
Dans un éclair épiphanique, j’explique à Collègue Fêtard que, globalement, dans l’univers mondial, ce qui est important ce ne sont pas les choses. Ce sont les liens entre les choses.
Les liens entre atomes sont plus importants que les atomes, car c’est ce qui fait les molécules. Les liens entre neurones sont plus importants que les neurones, car c’est ce qui fait l’intelligence. Les liens entre pièces de Lego sont plus importants que les pièces de Lego, car c’est ce qui fait une construction. Les liens entre les liens sont plus importants que l’éolien.
Collègue Fêtard réalise que je suis un génie. Il est tellement heureux qu’il nous paye un verre.
On boit, puis chacun rentre à pied chez soi.
Log out
C’était deux superbes pots de départ multiplexés. Merci à toutes les personnes qui ont participées.
Au revoir à Lourdée Rosemonde, Démissionné Peyotl, et aux autres lourdé·e·s.