Voici la deuxième moitié d’article que j’aurais dû écrire le mois précédent, mais c’était l’arrachasse. Cette fois-ci, on va parler de
Quelques collègues
tagadzim !!
Semi-Chef Lula
Un concentré de connaissances, dans énormément de domaines : maths, cartographie, pêche, sculpture (sa passion personnelle), gastronomie, interfaces graphiques, informatique bien sûr, et beaucoup de ses sous-domaines. Mais toutes ces connaissances n’étaient-elle pas un peu trop théorique ?
Ce mec était un paradoxe. Je ne l’ai jamais vu faire d’autres choses qu’écrire et lire de la documentation, ainsi qu’organiser des réunions. C’est bien, mais ça suffit pas pour faire du travail facturable. Et pourtant, il s’était monté une espèce de web-agency et avait eu un tas de clients plus ou moins prestigieux, en France et en Amérique. Je ne sais pas du tout comment il y est arrivé.
Il sortait plein de formules marrantes provenant de mélange d’expressions existantes. Elles ressemblaient à des expressions connues, sauf qu’il était le seul à les employer. J’ai retrouvé, dans ce trait de personnalité, un petit peu de mon défunt collègue Eurod’/Drache-Code/Je-Sais-Tout.
Voici quelques-unes de ses perles :
- Ça nous pend comme le nez au milieu de la figure.
- Soyons précisément cartésiens.
- Ça a été accouché à grand coup de débouche-évier.
- Il n’y a pas le moindre bout de morceau d’ersatz de substitut de <indiquez ici ce que vous voulez>.
- Faisons un point d’étape.
- Faisons une réunion flash-éclair.
- Je suis impressionné comme tu tapes du texte à la mitrailleuse lourde.
- C’est capillotracté à la tenaille.
- C’est parti en vrille comme une volée de moineaux.
Il raisonnait beaucoup en arborescence. Pour lui, tout était un arbre : une documentation avec ses chapitres et sous-chapitres, un projet avec ses tâches et sous-tâches, un organigramme, une vidéo porno avec ses positions et sous-positions, etc.
(C’est faux, les choses dans le monde sont des graphes, seule une partie d’entre elles sont des arbres).
Il était que Ouvrier-codeur au départ, et a très vite été catapulté Semi-Chef de diverses personnes, dont moi. Son problème était de croire qu’on était intelligents et autonomes. Il nous suggérait des choses à faire, qu’il appelait des « départs de branche ». On était censé défricher nous-mêmes l’arborescence sous-jacente à ladite branche. Ça fonctionnait pas toujours. J’agissais dans tous les sens de manière random pour donner l’impression que je travaillais, mais c’était assez bidon.
Une fois, il nous a donné comme départ de branche : « étudier diverses manières de stocker et manipuler des arbres hennaires ». J’ai mis plusieurs jours à comprendre de quoi il parlait : des arbres n-aires !! C’est comme des arbres binaires, avec n branches.
Sa gestion des tâches était un arbre n-aire, dont l’une des tâches était l’étude des arbres n-aires. Gestion-de-tâches-ception !!!

À cette occasion, j’ai découvert qu’on pouvait stocker ces arbres sous forme d’adjacency list (chaque nœud a une référence vers son parent), et aussi sous forme de nested set (on définit l’arbo avec des valeurs numériques « left » et « right » dans chaque nœud). C’était cool.
Concrètement, on a fait n’importe quoi. On a anarchiquement écrit des docs, on a installé une obscure lib PHP appelée stefano-tree, on l’a cassée, et pour finir on est passé à autre chose. Semi-Chef Lula était pas content et a dit que le sujet « n’avait pas été assez étudié ».
Concrètement du concrètement, on gérait nos arbres comme tout le monde : du json quand l’arbre est petit, des tables en base de données quand l’arbre est grand mais a une structure figée. On n’a pas trouvé, dans le monde réel, de cas où on aurait eu besoin de manipuler de grands arbres ayant une structure pas figée. Hop-là, work complete !
On faisait des réunions sur tout et n’importe quoi. Elles semblaient utiles, car il en sortait des éléments : des prises de décisions, de la documentation, des échanges. Pourtant, le travail n’avançait pas. C’est Stagiaire SuperCSS qui a mis le doigt sur le problème : on redisait très souvent les mêmes choses durant toutes ces réunions.
Semi-Chef Lula et moi discutions parfois jusqu’à 2 heures du matin, du projet POILS_PUBIENS, de l’avenir de la boîte, d’autres choses. En temps normal, j’aurais pas accepté. Mais il était fair-play et m’autorisait à comptabiliser ça dans le fameux total de 1607 heures à travailler sur toute l’année. Or, ça ne me dérange pas de veiller tard. C’était donc tout bénèf’, j’ai grignoté plein de jours de congés de rattrapage ! J’ai beaucoup aimé ces moments de discussion, même si ça faisait rien avancer. On s’était créé un lien assez fort tous les deux.
Au bout d’un moment, je l’ai senti un peu blasé de nous voir nous agiter aléatoirement tous azimuts. Je l’entendais dire « je ne donne plus d’ordres ». Ça n’avait pas trop d’impact, puisque quand il donnait des ordres, c’était rien de plus que des « suggestions de départ de branche ».
Je sentais que Chef NightWish commençait tout doucement à en avoir marre de cette situation. Il me parlait de Semi-Chef Lula en précisant : « t’inquiète pas, il n’ y a pas de soucis entre moi et lui ». Sous-entendu : « il y a un souci entre moi et lui ».
Ce qui a mis fin à cette période a été l’effrayant scandale du « Rapporchyderme ». Nous devions rédiger un petit document décrivant les modalités d’un partenariat entre POILS_PUBIENS et un autre organisme. Au cours de son élaboration, ce rapport a grossi jusqu’à atteindre la taille d’un pachyderme de 50 kilo-tonnes. Même Méga-Chef En-Même-Temps a ressenti le besoin d’intervenir et de demander des documents plus raisonnables pour les prochaines fois.
Suite à cette malheureuse gabegie, Semi-Chef Lula a été dégradé, il semi-cheffait moins de personnes. Je faisais partie des transfugés et suis passé sous les ordres de Semi-Chef Capibara, dont nous parlerons plus tard.
J’ai adoré cette épisode de mon incarnation professionelle. J’ai appris plein de choses, j’ai regagné la plupart de mes heures supplémentaires et j’étais relativement tranquille. Le seul stress que j’avais était de me demander ce que j’étais vraiment censé faire (puisque je n’avais pas d’ordre) et de me demander comment tout cela allait finir. Ça c’est pas trop mal fini, mais après il a fallu que je bosse pour de vrai. Je ne me faisais de toutes façons pas d’illusions sur la pérennité d’un tel modèle de Travail.
Dernière chose et pas des moindres au sujet de Semi-Chef Lula : c’est lui qui a négocié l’une de mes augmentations, pour une somme franchement pas dégueulasse. Tout seul, sans que je lui demande. Il avait probablement pitié de moi et de mon salaire de prolo. Je l’ai grandement remercié, je le remercie encore à nouveau ici. Je suis une grosse chiffe molle pour ce qui est de négocier mon salaire, j’ose jamais rien demander. Il a vu ce point faible et a décidé de m’apporter son aide. Je ne sais pas si il existe beaucoup de Semi-Chef comme ça dans le monde du Travail.

Docteur Maboul
Meilleur collègue de tout les temps. J’ai déjà chanté ses louanges. Je vais juste ajouter quelques anecdotes rapides.
Il codait en R. Un langage de programmation de zouzou de chercheurs, orienté data science et autres joyeusetés. Je suppose que ça permet de faire des trucs biens, mais lui codait bourrin. Et vas-y que je te charge 3 Go tout dans la RAM, et vas-y que je mets tous mes bouts de code dans un même fichier, et vas-y que je te lance un process qui tourne pendant plusieurs jours sans avoir aucune idée de quand il va finir. Ha ha, quel humour !!
Il était spécialiste de mettre des éléments « assez rigolos » dans ses Power Points. À ce sujet, Semi-Chef Lula m’a confessé que c’était la seule chose que Docteur Maboul savait faire : « amuser la galerie ». Je me souviens d’une présentation dans laquelle il montrait qu’en France, les recherches Google sur le terme « Intelligence Artificielle » baissaient fortement après 23 heures, alors que les recherches sur le terme « Camembert » augmentaient d’un coup. Il en concluait qu’à la nuit tombée, tous les français s’arrêtaient de réfléchir pour manger du camembert. Sartek.

Lorsqu’il auditionnait des stagiaires, il leur demandait de renvoyer un petit texte résumant l’entretien. C’est une pure idée ! Ça oblige le stagiaire à se souvenir de ce qui a été raconté, à rédiger un texte qu’il ne peut pas pomper sur internet, et surtout, ça permet de pas avoir à écrire ce résumé soi-même. Du brillantissime génie.
Oh, aussi, il connait l’une des personnes qui a fondé CodinGame. Re-sartek.
Son super-grade de Docteur fait qu’il coûtait presque rien en salaire, grâce à une espèce de subvention de l’État pour encourager les Docteurs à bosser du vrai Travail. Pour résumer, il était payé avec l’argent de vos impôts. Il n’a donc eu de cesse de répéter qu’il coûtait pas cher au projet POILS_PUBIENS, et que donc les chefs avaient pas à venir l’emmerder.
Plus tard, il a demandé une augmentation, qu’il a eu. Je ne sais pas ce qu’il a avancé comme arguments.
Chef NightWish finit par soupçonner que c’était un glandouilloux. Une conversation téléphonique eut lieu entre eux deux, au cours de laquelle Docteur Maboul monta sur ses grands chevaux et s’énerva taquet. J’aurais aimé y assister, avec un paquet de pop-corn. La rumeur dit que c’est suite à cette réunion que Docteur Maboul abandonna l’espoir d’avoir un avenir dans cette incarnation pro.
Pour finir, il s’est fait lourder pour glanderie aggravée, comme je vous l’ai déjà raconté. Une autre rumeur prétend qu’il a contesté son lourdage et que la procédure est toujours en cours. Mais c’est Chef NightWish qui l’avait lourdé et lui aussi est parti entre temps. Ça complique un peu.

Autres collègues divers
Je vous mets tout en vrac. J’ai déjà mentionné certains d’entre eux et n’ai plus grand chose à dire à leur sujet, ou bien j’avais moins d’interaction avec eux.
Collègue Aquafootball
Je lui avais lancé un défi : à la pause de midi, on faisait deux Clash of Codes sur CodinGame. À chaque fois qu’il gagnait, je devais aller courir avec lui. J’ai perdu une dizaine de fois en tout. On faisait quelques kilomètres. C’était plutôt cool et ça me faisait faire du sport. Ensuite il y a eu le Covid et tout ce bordel.
Collègue BarryWhite
Nous avons gardé contact. Il m’a donné quelques conseils de jeux vidéos et jeux de société, et c’est un fervent adepte de Squarity. Je ne peux pas trop vous en dire plus, pour conserver son intimité. Si j’ai le courage, je lui donne l’adresse de ce blog claqué du slip.
Traditionnellement, à chaque fin d’incarnation professionnelle, je donne l’adresse de mon blog à au moins une personne avec qui j’ai travaillé. Je l’ais transmis à Colléguette Rosemonde, ce qui valide l’incarnation de ConcreteWorld.🌍. Mais rien n’a encore été fait pour le projet POILS_PUBIENS.

Collègue BlackJack
Un type qui codait pas super bien et qui laissait passer des boulettes ici et là. C’était également un actif participant au bordel des fichiers Excel de comptage des heures (voir l’article précédent).
J’ai eu des tas de collègues daubés, lui n’était vraiment pas le pire. Mais à un moment, je me suis demandé ce qu’il foutait là. J’ai découvert que c’est un déglingopathe du blackjack (le jeu de cartes). Il fait des compétitions, il va dans des tournois, il sait compter les cartes à l’avance sans montrer qu’il le fait pour pas se faire choper, etc. En plus de ça, il s’intéresse aux crypto-monnaies : l’actualité, le fonctionnement technique, les smart contracts, tout ça il connait.
Ma question est donc la suivante : sachant que ces deux activités rapportent du fric quand on est expert dedans, et que manifestement il l’est, qu’est-ce qu’il fout là ? Pourquoi il code des pauvres trucs buggés en échange d’un salaire slippé au sol, si à côté il gagne un pognon foutrionique ?
Je ne sais pas. Peut-être qu’il investit tous ses gains du blackjack dans les cryptos, ou l’inverse. Il n’a donc pas de fric immédiat. Dans quelques années, il débarquera dans le burlingue du Méga-Chef, déguisé en canard géant, et chantera « au revoir Méga-Chef, je démissionne ». Mystère.

Chef NightWish
Comme tout Chef qui se respecte, quand on lui disait qu’un truc était fait, il se mettait à rêver et à imaginer que c’était vraiment complet, avec toutes les sous-fonctionnalités possibles et imaginables. Je me suis bien marré quand il a cru que j’avais implémenté dans mon prototype de cosmolo-détecteur la catégorisation automatique des incidents de réalité selon la norme Bogdanov, alors que c’est énorme et que chacun sait que ça prendrait des mois à faire.
Comme tout Chef doté d’un bagage technique qui se respecte, dès qu’il trouvait un truc sur internet ayant un lointain rapport avec notre projet, il nous disait de le récupérer et de l’intégrer. Parce que « c’est plus rapide de réutiliser des choses déjà faites ». Oui mon bon ami. Mais des fois les choses en question ne conviennent pas, ou ne s’intègrent pas, ou bien c’est plus simple de recoder nous-même la petite partie dont on a besoin plutôt que d’intégrer tant bien que mal un gros truc sous prétexte qu’il comporte cette même petite partie au fin fond dudit gros truc, excusez-moi pour cette phrase, elle est trop longue.
C’est lui qui m’a emmené à mon premier CTF ! Celui de la THCON (en 2018, je crois). C’était chouette, j’avais flaggé quelques challenges. Mais j’avais trouvé son attitude pas très motivante.
Il nous a raconté qu’à une époque, il était super fort en CTF. Possiblement, il a eu un réflexe de Chef et s’est mis à rêver qu’il allait cartonner comme avant. Mais il était un peu rouillé, il n’arrivait à rien, ça le déprimait. On était assis autour de notre table, chacun avec notre ordinateur à se prendre la tête. Lui, il regardait dans le vague et répétait : « là, je n’ai plus envie que d’une chose, c’est sortir fumer » (alors qu’il avait arrêté).
Vers la fin du CTF, ça allait mieux. On s’est mis à trois sur un même challenge. Un site web comportant une Local File Inclusion permettant de récupérer tous les fichiers d’un repository git. L’historique de ce repository ne contenait pas le flag, mais le mot de passe admin du site, celui-ci permettant de récupérer le vrai flag. Youpi !!
Rien à voir, mais je lui ai donné du compost. Je sais pas quoi foutre de mon compost parce que j’en ai rien à carrer de mon jardin. J’étais content de m’en débarrasser. Il m’a dit qu’il était super millésimé (depuis le temps qu’il macérait dans le composteur !!). Malheureusement, la seule chose qu’il a réussie à produire avec était des fruits pas mûrs, qui ont à leur tour servi de compost. Je vais certainement pas le juger pour ça.
Il a lancé l’initiative des cours de python que je donnais à des ado·e·s de collèges. Ça c’était une super bonne idée et ça m’a fait vraiment plaisir. Je ne sais pas du tout si j’ai suscité des vocations, mais quelques-unes de ces jeunes personnes étaient motivées. Hashtag-nostalgie, je me suis revu pendant mes années collège où je bidouillais sur Klik’n Play des jeux qui plantaient. Ensuite, paf Covid. Alors j’ai fait l’effort de rédiger quelques supports de cours pour que ces jeunes travaillent autonomement. Si je me souviens bien, j’ai balancés ces cours ici sous forme d’articles.
Et puis un beau jour, Chef NightWish a déclenché une réunion pleinière, comme on en faisait de temps en temps, et il nous a annoncé qu’il partait. Peut-être que les autres collègues-et-colléguettes l’avaient vu venir, mais pas moi. Je sais même plus dans quelle boîte il est allé. Il partait cheffiser bien moins de gens. Il en avait peut-être marre de gérer des crétins qui glandaient et faisaient n’importe quoi pas du tout en accord avec ses rêves.
