Le Caca de Base Inconditionnel

Cette histoire a été écrite dans le cadre de la Semaine Internationale (voire Intergalactique) du Revenu de Base Inconditionnel. Pour des infos un peu plus sérieuses à ce sujet, allez ici : http://revenudebase.info/

En l’an 2042, suite aux dérèglements climatiques, aux famines et aux dictatures diverses, l’immigration est devenue un fléau. Ils arrivaient de partout : en paquebot, par avion, en creusant des tunnels, en se faisant catapulter, …

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Les chefs de gouvernement des pays développés étaient débordés par les problèmes d’intégration et d’identité nationale. C’est alors qu’ils trouvèrent une solution très simple : puisque tous ces gens étaient interessés par les richesses, il suffisait d’arrêter d’être riche. Ni une ni deux, ils s’employèrent avec application à détruire ce qui avait mis des siècles à se construire : acquis sociaux, entreprises, infrastructures, administrations, lois, … Et pour être sûr d’être vraiment pauvre, ils s’endettèrent encore plus que ce qu’ils n’étaient déjà, à tel point que les banques rachetèrent les États.

L’immigration s’arrêta net. Les peuples étaient tous sur le même pied d’égalité, il était enfin possible d’avancer tous ensemble. Le fait d’avoir été obligé de régresser pour en arriver à cette situation ne semblait être qu’un mal nécessaire. Il n’y avait plus qu’à tout reconstruire petit à petit, sans oublier de rembourser les dettes contractées par les États-banques envers eux-mêmes.

Un État étant avant tout défini par ses citoyens, il fut naturellement décidé de répartir les créances entre tous les humains. Chacun, dès la naissance, se voyait donc attribuer une dette de 100 000 néo-brouzoufs, à rembourser tout au long de sa vie auprès de son État-banque natal.

Malheureusement, le délabrement économique étant ce qu’il est, peu de gens parvenaient à réunir un tel montant. Bien souvent, lorsqu’une personne décédait, sa dette de naissance n’était pas entièrement, voire pas du tout réglée.

Les États-banques eurent alors une idée pour faire prendre conscience de la criticité de la situation actuelle : distribuer chaque mois, à chaque personne, une petite quantité de matière fécale proportionnelle à sa dette restante. Un slogan de circonstance fut concocté : « avoir une représentation concrète de la merde dans laquelle nous sommes tous ».

Le caca alloué était à entreposer dans des frigos individuels. Il était interdit de s’en débarrasser, des vérifications régulières étaient effectuées par des agents spécialisés. Vous n’aviez le droit de jeter votre capital caca uniquement après vous être acquitté de la totalité de votre dette.

Ainsi, les États-banques mirent en place une industrie complexe pour produire, distribuer, conserver et recenser du caca. À la justification de prise de conscience collective s’ajouta la justification de création d’emplois.

C’est là qu’intervient le héros de notre histoire.

Cacapernic était un brillant logisticien né dans le HSBC oriental. Il était passionné d’astrophysique et pouvait prévoir si chacun de ses pets serait bruyant et/ou odoriférant. Contrairement aux héros classiques, il avait bien plus qu’une vision différente du monde qui l’entourait. Il avait une vision d’un monde différent.

Cacapernic consacra sa vie à développer un réseau de résistants ayant pour objectif de voler le caca non encore distribué, en siphonnant des silos de stockage et en détournant des caca-pipe-line. Après 60 ans d’un travail de fourmi, le réseau avait collecté pas moins de 10 millions de milliards de kilotonne d’excréments, réparties dans plusieurs entrepôts clandestins.

Le moment venu, Cacapernic déclencha l’opération « chasse d’eau ». En quelques jours à peine, tout le caca accumulé fut acheminé vers un point unique du globe, pour y former une boule géante. Les résistants, équipés de masque à oxygène et de propulseurs à gaz auto-alimentés, grimpèrent sur la boule et déclenchèrent la mise à feu. Celle-ci s’éleva doucement dans le ciel, et continua sa route jusqu’à dépasser la stratosphère.

Poon, le nouveau satellite de la Terre, était né.

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Les résistants, qui avaient décidés de prendre le nom de « enfants de Christophe Colombin », commencèrent à s’organiser sur leur nouveau monde. Le terreau était fertile et il leur fut aisé de faire pousser des plantes. Celles-ci commencèrent à produire de l’oxygène et à générer une atmosphère respirable, quoi que conservant son odeur douteuse.

La surface de Poon étant relativement uniforme, il n’y avait pas lieu de la découper en pays. Ainsi, les enfants de Christophe Colombin n’eurent pas à se préoccuper de problèmes d’immigration. Ils mirent progressivement en place un Revenu de Base Inconditionnel, à l’aide d’une monnaie fabriquée à partir d’étron séché et découpé en rondelles.

Pendant ce temps, sur la Terre, les seuls habitants restant étaient les hauts fonctionnaires-dirigeants des États-banques, ainsi que les personnes travaillant dans l’industrie cacatière. Ils moururent tous en quelques années car ils étaient incapables de produire des biens de première nécessité.

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Unrelated pic, mais il fallait une femme ronde.

introduction à la karmagraphie

Un peu d’histoire

Première Conjecture de Goblavanala Rashpurlamharad :
Toutes les informations possèdent une valeur de karma.

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Goblavanala Rashpurlamharad, inventeuse de la karmagraphie.
Là, elle est à une conférence-beuverie d’éminents chercheurs.

Le mot « information » est ici à prendre au sens large, en tant qu’objet ou groupe d’objet du Monde Des Idées. Cela inclut : l’esprit d’un être vivant, les œuvres d’art, les souvenirs, les mots, les concepts, etc. Pour faire savant et pro, on utilise l’appellation « objet informationnel ».

La Deuxième Conjecture, on s’en fout un peu. Je vous la met ici juste pour la culture générale :
Pour qu’une information puisse avoir une influence dans un univers, elle doit exister, en au moins un exemplaire, dans l’univers lui-même, sur un support en accord avec sa physique.

Forte de ces découvertes, Goblavanala décida de ne pas progresser dans ses recherches, car elle venait de décrocher un petit rôle dans une production cinématographique. Elle eut son petit succès dans les années 50, et coule maintenant des jours paisibles en tant que rentière culturelle.

Quelques années plus tard, les ordinateurs et la théorie de l’information arrivèrent avec leur gros sabots, et annoncèrent en grande pompe que le karma, au même titre que tout le reste, pouvait s’exprimer sous la forme d’une suite d’octets. C’était super, sauf que ça nous avançait pas plus que ça.

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La grande pompe utilisée pour l’annonce.
En fait c’est un modèle 3D fait sous Blender, sauvegardé dans le monde réel.

Évidemment, y’en a qui se sont amusés à dire que puisque le karma est une information, et que toutes les informations possèdent une valeur de karma, alors chaque valeur de karma possède une valeur de karma. Ha ha ha. Douglas Hofstadter trouve qu’il trouve que cela est cool.

Cependant, le problème principal subsistait : comment, techniquement, mesurer une valeur de karma ? Et surtout : à quoi ça pourrait servir ?

Après les conjectures, un peu de sérieux

Arriva alors celui qui allait devenir le père de la karmagraphie (on avait déjà la mère, voilà le père, mais ils n’ont jamais fait de cochonneries ensemble, la karmagraphie étant une immaculée conception).

Il s’agit de Tavaldlav Odkazapriba, ouvrier-bibliographe, qui travaillait la nuit tous les soirs dans sa chambre, entouré de petites sculptures amicales fabriquées avec du porridge.

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C’est lui. Là il est à une conférence-beuverie organisée par lui-même, à laquelle il était le seul invité.

Principe de Tavaldlav, confirmé par plusieurs expériences :

Le karma d’un objet informationnel quelconque est un simple point, situé dans un espace imaginaire d’une infinité de dimensions.

Certains karmatologues pensent que cet espace est Le Monde Des Idées en lui-même, mais ça reste une hypothèse.

Grâce à ce principe, la karmagraphie put se développer, et mérita entièrement sa qualification de Science.

Méthodes de mesure

Il est actuellement impossible de déterminer les coordonnées absolues d’un point de karma, mais on peut calculer des distances.

Eurod’, mon collègue de travail (diplômé de karmatologie de l’université de Prout) m’a expliqué la méthode. Je vais essayer de vous la résumer ici.

Lorsqu’on mesure les ondes cérébrales d’une personne, on peut en déduire une projection de son point de karma, sur un espace à dimension finie. C’est bien, mais comme c’est jamais projeté sur les mêmes dimensions d’une mesure à l’autre, ça ne sert pas à grand-chose.

Heureusement, il y a une astuce : en mesurant la résonance des ondes cérébrales émises par 2 personnes, et à l’aide de quelques bidouilles calculatoires ésotériques, on obtient la distance karmique entre ces personnes.

Je sens une question poindre dans votre petit cortex tout électrifié. Si le nombre de dimensions est infini, la distance entre 2 points a de grande chance d’être infinie, elle aussi. Du coup, qu’est-ce qu’on peut bien en faire ?

Votre cortex a tout à fait raison. Les karmatologues s’en sortent avec une seconde astuce, d’ordre mathématique. En effet, il existe des infinis plus grands que d’autres. Pour les comparer, il suffit de les représenter sous forme d’une division par zéro. Une distance karmique de 5000/0 est plus grande qu’une de 0.0001/0.

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Vue d’artiste du Monde des Idées : une éponge verte infinidimensionnelle, représentée par une infinité d’éponge verte bidimensionnelles.

Pour mesurer la distance karmique entre une personne et un objet informationnel « inerte » (chanson, texte, feuille d’impôt, …) il faut procéder autrement, puisqu’un objet inerte ne génère pas d’ondes cérébrales.

Lorsqu’une personne consulte un objet informationnel, ses ondes se modifient légèrement. D’éminents savants ont mesuré cette écart, et ont tenté d’en déduire un point de karma, mais ça n’a pas fonctionné.

Ça paraît évident maintenant, mais sur le coup, ils étaient perplexes. En fait, cette mesure d’écart ne permet que d’obtenir une projection du point de karma de l’objet informationnel inerte.

Il faut deux personnes. On commence par mesurer leur distance karmique. Ensuite, l’une des deux consulte l’objet informationnel, mais pas l’autre. La résonance d’ondes cérébrales change un peu, donc la distance karmique aussi.

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Les premiers karmamètres. Oui c’était un peu encombrant.

Le changement de distance entre les deux personnes, avant et après consultation, donne une approximation de la distance karmique entre la personne ayant consulté l’objet informationnel, et l’objet lui-même.

Vous l’aurez deviné, tout cela reste très approximatif, car le point de karma d’une personne est toujours plus ou moins en mouvement : selon son humeur, qu’elle ait fait caca le matin, la météo, etc. Pour le moment, on n’a pas de meilleur technique.

Cas des distances finies

Dans certaines situations bien spécifiques, une distance karmique peut être finie. C’est à dire qu’il y a un nombre infini de coordonnées égales entre elles, et seulement quelques unes de différentes. On passe d’un point à l’autre grâce à un simple mouvement de translation.

Ce phénomène n’a pu être observé que dans deux cas :

  • Entre une œuvre d’art et son créateur. Et encore, au bout de quelques années, le point du créateur a bougé, et la distance peut devenir infinie. Ça s’appelle l’effet « Quoi ? C’est moi qu’avais fait ce truc là ? Je m’en souviens même plus. »
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Les distances karmiques entre cette photo, et les deux femmes qui sont dessus, sont finies. Mais la distance entre les deux femmes est infinie. Bizarre n’est-ce pas ?

  • Entre deux nouveaux-nés d’une même espèce. Là encore, ça s’éloigne très vite et devient infini au bout de quelques minutes de vie. Certains chercheurs pensent que la distance est également finie entre deux nouveaux-nés de n’importe quelle espèce, mais cette proximité ne durerait que quelques microsecondes. S’ils parviennent à le prouver, les répercussions seraient très importantes. Cela impliquerait qu’il existe un point de repère absolu pour le karma. Une sorte d’origine.
singes dans une brouette

Poilu, Dormeur, Tripote-Mascagne, Picassiette, Jean-René-Robert-Tolkien, R2D2, Igor et Grichka : les singes ayant permis de découvrir le 2ème cas de distance finie.

Tout cela est bien joli. Mais quelles applications concrètes y’a-t-il à cette discipline scientifique de haut vol ?

Plein ! En fait, la plupart des appareils que vous manipulez font appel à la karmagraphie, sans que vous vous en rendiez compte. Je donnerais divers exemples dans un prochain article. Là, faut que j’aille boire du champagne, afin de me donner l’illusion que ma vie est super.

Et entre temps, je vous ferais mon article récapitulatif de 42. Une fois de plus, je suis en retard là-dessus.

Unrelated pic, mais c’est pour respecter mes quotas blogaliens de femmes rondes.